Cet article a été publié par le Journal GTA : Gestion et technologies agricoles.
Vous exploitez une entreprise agricole et vous envisagez de faire de la transformation des produits issus de votre récolte? Il s’agit d’une excellente idée pour donner de la valeur ajoutée à votre production. Mais avez-vous pensé aux conséquences potentielles, notamment au niveau fiscal? Deux experts de MNP détaillent les éléments auxquels vous devriez être attentif.
Boutiques de produits de la pomme, du miel ou de l’érable, restaurants, cabanes à sucre… Les possibilités de diversifier les activités de son entreprise agricole sont nombreuses et les producteurs des quatre coins du Québec proposent plusieurs façons de déguster leurs délicieux produits.
Si cette offre réjouit les consommateurs et permet aux agriculteurs de valoriser leurs récoltes tout en diversifiant leurs sources de revenus, il n’en reste pas moins qu’elle peut aussi causer des difficultés fiscales et autres. «Si l’on n’y prend pas garde, cela pourrait priver l’entreprise agricole de certains avantages fiscaux. C’est pourquoi il faut bien comprendre les conséquences que peuvent avoir ce type d’activités, et surtout, de quelle façon on peut éviter ces inconvénients», explique la fiscaliste et agronome Marie Boulay, directrice principale en fiscalité chez MNP. Elle-même issue d’une famille d’agriculteurs, elle s’implique occasionnellement dans la ferme de son conjoint et connaît donc bien les enjeux entourant l’exploitation d’une entreprise agricole. Pour sa part, Patrick Khouzam, CF, est directeur général au sein de l’équipe de financement d’entreprises chez MNP et leader de la niche agroalimentaire au Québec. Ces deux experts nous aident à y voir plus clair.
Risques financiers et d’affaires
Lorsqu’on intègre l’activité de transformation ou de fabrication directement dans l’entité agricole initiale, on y ajoute également le risque de poursuite qui y est relié. Ce faisant, c’est l’ensemble des actifs de l’entreprise qui sont à la disposition des créanciers en cas de poursuite ou de recouvrement. En isolant les activités qui ne sont pas agricoles dans une société par actions distincte, on s’assure ainsi que l’entreprise de fabrication et transformation soit séparée de la détention des actifs de l’entreprise agricole - pensons notamment aux terres, à la machinerie agricole, aux bâtiments et aux quotas qui ont souvent une grande valeur – ce qui permet de limiter le risque à chacune des activités. «Imaginons que toutes les activités sont réalisées au sein de la même entité, et qu’un consommateur qui aurait acheté un produit fasse une grave réaction allergique et décide de poursuivre l’entreprise. Tous les biens appartenant à cette entreprise pourraient donc être à risques», indique Patrick Khouzam. Bien qu’une bonne police d’assurance aide à réduire les risques, il faut garder en tête qu’elle pourrait ne pas couvrir tous les sinistres, que le montant de la couverture est insuffisant et que l’assureur peut refuser d’indemniser l’entreprise pour toutes sortes de raisons. Isoler des activités de diversification dans une société par actions distincte permet de séparer les risques de chacune des entreprises. La présence d’un conseiller juridique lors de l’établissement de la structure corporative pour exercer chacune des activités permet de mieux gérer la situation, si un événement malheureux se produisait ou que l’entreprise de transformation n’était pas rentable et en venait à être submergée par les créanciers. Les activités de l’entreprise agricole pourraient suivre leur cours normal et son patrimoine resterait intact.
C’est pourquoi l’expert recommande de créer une société par actions distincte qui englobera les activités de transformation ou de fabrication et les isolera de l’activité principale de production.
Marie Boulay note qu’avec la pandémie, de nombreux producteurs ont tenté de se diversifier pour générer davantage de sources de revenus, mais que la plupart ne sont pas au courant des risques qu’engendre une entité unique. «Beaucoup d’entre eux ne prennent pas conscience des enjeux ou n’en ont même pas entendu parler, et ils n’ont pas de structure adéquate», précise-t-elle.
Autre avantage d’avoir deux entités : mettre sur pied un montage financier qui permettra le cas échéant à des investisseurs d’intégrer uniquement les activités de fabrication ou de transformation. «Il sera plus facile d’avoir accès à un plus large éventail de bailleurs de fonds, lesquels ne seraient pas nécessairement intéressés à investir dans les activités agricoles», indique Patrick Khouzam.
En plus de ces deux avantages, il ajoute qu’il y a aussi celui de pouvoir vendre de façon indépendante l’activité de transformation/fabrication de celle de production.
Les éléments fiscaux à considérer
Mettre en place une structure séparée permet généralement d’éviter que l’entreprise se disqualifie des avantages fiscaux agricoles. «Il faut savoir qu’au niveau fiscal, la fabrication et la transformation ne se définissent pas comme une activité agricole. En ayant deux structures séparées, on optimise la structure fiscale corporative afin de maintenir la qualification à la déduction pour gain en capital sur les actions ou participations de la société agricole familiale», précise Marie Boulay.
Cela a aussi pour effet de faciliter la comptabilisation des ajustements pour la comptabilité de caisse et la comptabilité d’exercice. Rappelons que les activités non agricoles ne sont pas admissibles aux ajustements pour se ramener en comptabilité de caisse aux fins de l’impôt. On a donc tout intérêt à avoir deux comptabilités distinctes.
«Au niveau fiscal il est également très important d’évaluer l’ampleur de l’activité de transformation, la valeur des équipements utilisés pour cette activité et s’il y a lieu, la qualification des actifs tels que les bâtiments, pour savoir s’ils pourront être considérés comme des actifs agricoles aux fins des articles de loi sur l’admissibilité à la déduction pour gain en capital et l’admissibilité au transfert intergénérationnel», précise Marie Boulay.
Lorsque la production transformée provient de la matière brute récoltée par l’entreprise agricole du producteur et qu’elle demeure à petite échelle, il est possible de prétendre que l’activité de transformation/fabrication est accessoire à l’activité agricole. Mais dès qu’elle prendra de l’ampleur ou qu’elle s’effectuera à partir de matière brute acquise auprès d’un tiers et qui n’a pas été produite sur la ferme, les règles fiscales changent. Dès lors, les revenus provenant de cette production ne seront plus considérés comme des revenus agricoles.
«Si vous avez ce type d’activité dans votre entreprise, il est essentiel de consulter votre fiscaliste afin qu’il analyse votre structure corporative et fasse des recommandations qui permettront d’optimiser le tout. Même si ces activités sont encore de petite taille, il est important d’y réfléchir le plus tôt possible», conseille Marie Boulay.
En conclusion, compte tenu de la complexité et des particularités des entreprises agricoles, il peut être très avantageux de consulter un expert afin de déterminer la meilleure façon de structurer des activités supplémentaires.
Contactez-nous
Marie Boulay, M. Fisc., B. Sc., Agr.
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Patrick Khouzam
Directeur général
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