La pandémie de COVID-19 nous aura habitués à porter un couvre-visage et à voir des visages à moitié camouflés. Au lendemain de la pandémie, cela pourra être les états financiers qui seront masqués, afin de cacher certains aspects de la réalité financière des entreprises. En effet, la pandémie aura mis beaucoup de pression sur celles-ci et certaines voudront rassurer leurs parties prenantes, parfois en manipulant les états financiers. Alors que les regards sont tournés vers la reprise économique, êtes-vous bien au fait des fraudes dans les états financiers (FDLEF) et de la falsification de ceux-ci? Et surtout, comment faire pour poser les bonnes questions, afin de préserver sa santé financière?
Les FDLEF
Une FDLEF est définie[1] par l’Association of Certified Fraud Examiners (ACFE) comme étant une « représentation erronée volontaire de la situation financière d’une entreprise, par l’inexactitude ou l’omission intentionnelle de montants ou d’informations dans les états financiers afin de tromper leurs utilisateurs ». Ce qui est à retenir ici, c’est qu’une FDLEF n’est pas uniquement constituée d’informations inexactes, mais peut être constituée d’informations ne s’y trouvant pas. Dans les deux cas, l’objectif est d’arriver à un but particulier, comme obtenir un nouveau financement, maintenir un statut particulier, payer des bonis basés sur le rendement financier, empêcher le rappel d’un prêt octroyé, influencer le cours des actions, dissimuler un détournement de fonds, etc.
Il y a des exemples tristement célèbres de FDLEF dont le plus célèbre demeure Enron, à la suite duquel de nouvelles réglementations ont été introduites. Cela n’a néanmoins pas empêché de nouveaux scandales d’éclater, preuve qu’il faut demeurer attentif. Un exemple récent est le cas de Theranos, une start-up de la Silicon Valley qui promettait des tests sanguins complets grâce à une seule goutte de sang. Un des problèmes était que ces tests n’auraient jamais fonctionné. Sa fondatrice, Elizabeth Holmes, a néanmoins réussi à augmenter la valorisation de son entreprise à des milliards de dollars basée sur de fausses informations financières fournies à un lot d’investisseurs potentiels, dont plusieurs avocats faisaient partie.
Cette histoire n’est pas hors du commun. Les conseillers, partenaires d’affaires et investisseurs se fient sur les informations financières produites par les compagnies pour baser leurs décisions. Or, ceux-ci devraient garder en tête les statistiques suivantes sur les FDLEF compilées par l’ACFE en 2020 qui incitent à demeurer vigilant quant à l’information financière qui nous est transmise :
- Elles sont le type de fraude qui cause le plus de dommages financiers en moyenne par occurrence (plus de 950 000 $ US de perte médiane). Ces dommages concernent les investisseurs, mais également les clients et les fournisseurs de ces entreprises;
- 30 % des FDLEF sont commises par les cadres et les hauts dirigeants de l’entreprise. Les hauts dirigeants sont davantage susceptibles d’avoir les motifs et la pression, mais également les accès et les occasions afin de commettre ce type de fraude. En outre, ce sont eux qui ont davantage à gagner d’avoir un résultat net positif et un bilan en santé. Une relation à long terme n’est pas garante de la fiabilité de l’information; et
- Seulement 4 % des détections de fraude sont effectuées par l’auditeur externe. Le fait que les états financiers soient vérifiés par un auditeur externe n’est pas un gage que ceux-ci sont exempts de fraude puisque la détection des fraudes n’entre pas dans le mandat des auditeurs
Comment les états financiers sont-ils manipulés?
Certains éléments favorisent les manipulations des états financiers. En voici certains :
- Faible surveillance et faibles contrôles internes : Comme mentionné auparavant, les audits externes ne parviennent à détecter que très peu de fraudes. La clé se situe plutôt dans la force des mécanismes internes de l’entreprise, ce qui inclut le code de conduite, une surveillance appropriée du conseil d’administration et du comité d’audit et des contrôles spécifiques antifraude robustes et efficaces;
- Les normes comptables : Les états financiers sont normalement préparés selon un référentiel comptable établi. Or, dans certains cas, ces normes comptables permettent de faire un « choix » d’une méthode comptable plutôt qu’une autre et permettent également l’utilisation d’estimations comptables. Ces « choix » peuvent faire varier grandement ce qui se retrouvera dans les états financiers. La détermination des estimations, des provisions et des réserves peut avoir un effet significatif sur l’allure du bilan et du compte du résultat.
- La littératie financière des utilisateurs : Pour pouvoir déchiffrer des états financiers, il faut des connaissances de base en comptabilité et être attentif aux détails. Les éventuels fraudeurs peuvent profiter du fait que, souvent, les utilisateurs des états financiers ne sont pas tous des experts en comptabilité, qu’ils n’ont pas accès à tous les détails soutenant les chiffres et qu’ils ont généralement peu de temps pour les réviser de fond en comble.
Dans les dernières années, et d’autant plus avec la pandémie, nous avons constaté un virage concernant les FDLEF. Elles ne sont plus seulement utilisées pour camoufler une autre fraude, elles sont la fraude en soi, afin d’arriver à leurs objectifs, comme certains que nous avons nommés précédemment. Malheureusement, il n’est pas toujours simple de n’identifier qu’un seul procédé frauduleux; les fraudeurs sont toujours autant créatifs et inventifs, et peuvent utiliser plus d’un procédé à la fois. On peut néanmoins classer les différentes manipulations des états financiers dans les trois grandes catégories suivantes :
- La surestimation de la valeur nette de l’entreprise et de ses profits;
- La sous-estimation de la valeur nette de l’entreprise et de ses profits; et
- La divulgation inappropriée (y compris l’omission volontaire) des informations.
De cette liste, la seconde catégorie est-elle celle qui vous surprend le plus? Qui voudrait montrer une plus faible valeur d’entreprise ou de plus faibles profits? Or, ce cas est intéressant, d’autant plus dans un contexte de pandémie. Prenez l’exemple d’un dirigeant d’une compagnie qui a eu de bons résultats en 2019 avant la pandémie. Afin d’être éligible à une bonification, a-t-il pu être tenté de retarder la comptabilisation de certains revenus à plus tard afin de montrer que sa compagnie a mieux performé durant la pandémie?
Nous reviendrons sur les différents procédés de manipulations dans les prochains chapitres de notre série sur les FDLEF.
Incidences de la pandémie de COVID-19
La pandémie de COVID-19 a fourni un environnement favorable à une augmentation des FDLEF. Notamment parce que certaines industries ont connu une baisse soudaine de leurs revenus ou de leurs parts de marché. À l’instar de notre exemple précédent, la direction, un vendeur ou tout autre employé pourraient vouloir masquer la diminution du chiffre d’affaires par la comptabilisation de revenus fictifs ou devancer la comptabilisation des revenus afin de montrer une meilleure performance.
Les pertes énormes reliées à la pandémie peuvent représenter une bonne occasion pour les fraudeurs de radier « tout sauf l’évier de la cuisine » afin de dissimuler de nouvelles fraudes ou de rectifier les anciennes. Tout ce qui est inscrit au bilan pourrait être à haut risque d’être radié, y compris les stocks et les dettes.
Dans un autre ordre d’idées, les changements anticipés qui découleront de la pandémie pourraient faire en sorte que certains actifs perdront de la valeur. Certaines entreprises pourraient même voir une unité d’affaires devenir désuète. Certaines auront de la difficulté à déterminer la valeur de ces actifs, soit à la leur juste valeur, soit à leur valeur de réalisation. Et elles pourraient être tentées de ne pas comptabiliser ces pertes.
Nous avons mentionné précédemment l’absence d’information comme une possible FDLEF. Cela prendra tout son sens au lendemain de la pandémie. Certains au sein des organisations voudront minimiser les informations et les communications qui pourraient apporter de mauvaises nouvelles à leurs parties prenantes. Nous reviendrons sur ce sujet dans la suite de cette série sur les FDLEF.
Quelles questions poser et quoi faire?
Voici une liste non exhaustive de questions que vous pourriez poser :
- Pourquoi cette compagnie est-elle profitable alors que les compagnies de la même industrie sont en difficulté? Est-ce que la tendance des profits et des pertes de cette compagnie est comparable aux autres compagnies exerçant leurs activités dans la même industrie?
- Pourquoi les revenus augmentent-ils, mais pas les flux de trésorerie?
- Quelles sont les méthodes et les estimations comptables utilisées, sont-elles justifiées et ont-elles changé dernièrement?
- Pourquoi la compagnie a-t-elle autant de transactions avec des apparentés? Alternativement, pourquoi en a-t-elle aussi peu?
- Comment la pandémie a-t-elle affecté cette compagnie et comment est-ce représenté dans les états financiers?
En cas de doute ou soupçons sur des états financiers qui vous ont été soumis, il est primordial de s’entourer d’une équipe qualifiée et expérimentée qui comprendra un juricomptable. Ne manquez pas la suite de cet article dans une future parution du Monde Juridique.
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[1] https://www.acfe.com/article.aspx?id=4294967876#:~:text=Financial%20statement%20fraud%20is%20the,to%20deceive%20financial%20statement%20users.