Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) transforment le mode de fonctionnement des entreprises, mais aussi leur relation avec les marchés financiers.
Nous assistons à un changement radical en matière d’investissement à retombées sociales : des idées que beaucoup associaient, il y a à peine deux ou trois ans, à un groupe restreint d’adeptes de valeurs socioenvironnementales deviennent rapidement la norme. Les produits et la rentabilité ne suffisent plus à attirer les investisseurs. Ceux-ci veulent connaître l’engagement des entreprises envers la transparence, l’imputabilité et la durabilité, et leur position face à la carboneutralité.
Cela n’a rien d’étonnant. Les capitaux sont toujours dirigés vers les sources les plus susceptibles de dégager le meilleur rendement possible. Compte tenu des risques et occasions dans notre monde en constante évolution, les façons établies de faire des affaires sont appelées à changer dans les prochaines années. Les facteurs ESG constituent un excellent outil pour cerner les entreprises prêtes à s’adapter et à répondre aux attentes, et celles qui sont en meilleure position pour se démarquer dans une économie post-pandémique à faibles émissions de carbone.
Mais quelles sont exactement les attentes des investisseurs envers les entreprises, et comment évoluent-elles?
L’an dernier, dans le cadre du 19e congrès annuel Capital Connection d’ACG Toronto, j’ai eu la chance d’animer la discussion d‘un groupe d’experts sur l’investissement à retombées sociales. Plusieurs points éclairants abordés lors de cet événement sont toujours d’actualité, notamment la ferme volonté de faire avancer la discussion sur les facteurs ESG et le besoin pour le secteur, les marchés et les organismes de réglementation de définir des objectifs communs.
Voici quatre grands thèmes qui sont revenus à plusieurs reprises dans la discussion, et dont les dirigeants d’entreprises devraient tenir compte en 2022 et durant les prochaines années.
Précisez le caractère significatif
Les investisseurs s’attendent à un effort plus concerté des entreprises afin de définir comment elles s’améliorent par rapport à des indicateurs ESG précis, mais aussi pourquoi elles le font.
De nombreuses entreprises peinent à définir ce à quoi elles devraient consacrer leurs ressources et leur temps : ce qui compte pour les consommateurs n’a pas nécessairement la même importance pour les employés, les organismes de réglementation, les intervenants ou même l’entreprise en tant que telle. En cherchant à plaire à tous, une entreprise risque de diluer ses ressources limitées, tandis qu’en suivant aveuglément les tendances, elle risque de négliger des enjeux importants, réduisant ainsi ses chances de profiter de retombées mesurables.
Bien comprendre le caractère significatif des facteurs ESG aide à s’y retrouver, notamment en soulignant les principaux enjeux qui :
- ont une incidence directe sur le rendement et le bilan de l’entreprise;
- atténuent les retombées de l’entreprise sur la société et l’environnement (c.-à-d. les externalités).
Se concentrer sur des enjeux majeurs, comme la diminution des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement ou la réduction de l’écart salarial entre les hommes et les femmes, aide les entreprises à cibler des aspects précis à améliorer et à les prioriser. Cela, en retour, établit des liens entre les facteurs ESG et la stratégie organisationnelle, et donne de la structure et de la substance aux investissements connexes.
Plutôt que de simplement ajouter les facteurs ESG au modèle d’entreprise, le caractère significatif les y intègre, en vue d’améliorer la performance de l’entreprise et de créer de la valeur à long terme. Il s’agit d’un élément essentiel pour comprendre la façon dont les entreprises déploient leur capital et la perception qu’ont les dirigeants des occasions et des risques liés aux facteurs ESG, et pour prévoir la performance de l’entreprise dans un monde en constante évolution. Ce sont là les principales préoccupations des investisseurs au moment de déterminer le potentiel de rendement de leur investissement.
Lorsqu’ils évaluent une occasion d‘investissement, ils se posent notamment les questions suivantes :
- Comment se comparent les priorités de l’entreprise à l’égard des facteurs ESG par rapport à celles d’autres entreprises de même taille et de même envergure?
- Les dirigeants ont-ils réfléchi sérieusement à la viabilité à long terme de leur modèle d’entreprise?
- Y a-t-il une évolution des pratiques habituelles afin de permettre à l’entreprise de profiter des occasions qui s’offrent à elle et, ainsi, d’augmenter sa part de marché?
- Comment les enjeux importants précisés dans la stratégie ESG se reflètent-ils dans les initiatives et la communication de l’information?
- L’entreprise prend-elle des mesures pour évaluer régulièrement les nouveaux risques et les nouvelles occasions à prendre en considération, et ajuste-t-elle ses initiatives ESG en conséquence?
Présentez l’information de façon réalisable
Même si la perception de la durabilité et de l’imputabilité a évolué durant de nombreuses années, l’importance accordée de façon relativement soudaine aux facteurs ESG a imposé une courbe d’apprentissage marquée aux investisseurs et aux dirigeants d’entreprise.
Il n’y a pas si longtemps, en 2020, bien peu de décideurs du secteur ou sur les marchés saisissaient bien les principes ESG et la façon dont ils devaient s‘articuler. Cela a entraîné une première vague d’écoblanchiment (probablement non intentionnelle), alimentée par un flux de capitaux vers des stratagèmes de marketing attrayants (mais qui se sont révélés des coquilles vides).
Le monde des affaires a réalisé des progrès majeurs depuis, en faisant de plus grands efforts pour créer des cadres significatifs et efficaces par rapport aux facteurs ESG et en posant des questions plus pointues pour vérifier les prétentions des entreprises au sujet de la durabilité et de l’imputabilité. Aujourd’hui, les dirigeants d’entreprise devraient être prêts à soutenir toute politique ou pratique ambitieuse et à appuyer leurs prétentions de plans transparents et de documents vérifiés par des tiers indépendants. Avoir ces cartes dans son jeu constitue un atout important, mais cela devient rapidement le strict minimum alors que les investisseurs sont mieux informés et que la réglementation s’adapte.
Alors que nous avons encore en mémoire la conférence de 2021 des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) et que la carboneutralité est plus que jamais d’actualité, les investisseurs sont maintenant ailleurs. Leur vanter les mérites des facteurs ESG ne suffit pas. De plus en plus, ils veulent :
- connaître les perspectives à long terme de l’entreprise dans une économie à faibles émissions de carbone ou carboneutre – et, bien sûr, s’ils peuvent s’attendre à dégager un rendement positif à long terme de leur investissement;
- savoir si investir dans une entreprise favorisera leur propre cheminement vers la carboneutralité ou y nuira.
Certaines entités tireront leur épingle du jeu dans un environnement transparent, à faibles émissions de carbone; leur modèle d’entreprise combiné aux enjeux liés aux facteurs ESG créeront pour elles des occasions de croître et de prospérer. D’autres lutteront pour conserver leur pertinence. Même l’engagement le plus sérieux et le plus rigoureux envers les facteurs ESG ne suffira plus à assurer la pérennité d’une entreprise si elle n’apporte pas de changement important à son modèle de création de valeur. Les investisseurs regardent déjà au-delà des engagements à court terme à la recherche d’occasions d’adapter leur portefeuille aux réalités de demain.
Adhérez à la normalisation
Une lacune importante par rapport aux facteurs ESG est l’absence d’une norme universelle pour guider les entreprises afin qu’elles produisent des rapports uniformes, comparables et transparents sur les progrès réalisés dans l’adoption et la mise en œuvre de leurs priorités à ce chapitre.
Pensons seulement aux lois et normes comptables pour la tenue de dossiers financiers, comme les principes comptables généralement reconnus (PCGR), les normes internationales d’information financière (IFRS), le Règlement 52-109 et la loi Sarbanes-Oxley. Elles ont un effet transformateur pour créer de la confiance, une cohérence et une uniformité en vue de comparer la performance financière d’entreprises de toutes les tailles et de tous les secteurs. Elles assurent la cohérence et l’efficacité des contrôles sous-jacents, ainsi que l’imputabilité des entités publiantes. En l’absence d’une rigueur similaire pour les facteurs ESG, il est difficile de tirer des conclusions raisonnables sur la façon dont les initiatives de durabilité se traduisent en résultats stratégiques et concrets.
Plusieurs organismes indépendants de vérification et de certification ont vu le jour ces dernières années promettant de combler le vide du côté de la réglementation. Ils ont cependant suscité plus de questions que de réponses. Très souvent, les résultats d’évaluations pour une même entreprise, la même année, varient allègrement d’excellents à critiques, en fonction de l’organisme de vérification et de ses critères d’évaluation. Cela n’aide ni les entreprises ni les investisseurs à prendre des décisions plus éclairées sur la répartition du capital. Le problème est attribuable en partie à l’absence d’une méthode claire et uniforme – différentes agences de notation appliquent différentes techniques d’évaluation – mais la nature quantitative des facteurs ESG et la variabilité du caractère significatif y contribuent également.
Les organismes de réglementation du commerce des valeurs mobilières accordent une importance toujours plus grande aux facteurs ESG et aux obligations d’information. Cette tendance s’appuie sur l’accroissement de la demande des investisseurs et de la pression du public pour des politiques et des pratiques plus transparentes, notamment les stratégies des entreprises à l’égard des facteurs ESG.
En 2021, l’IFRS a créé l’International Sustainability Standards Board (ISSB),L’ISSB coordonne également ses efforts avec le Conseil des normes comptables internationales (IASB) pour élaborer des normes complémentaires de communication de l’information comptable et sur la durabilité afin de répondre à la demande croissante des utilisateurs pour des rapports financiers généraux.
De plus, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié en 2021 un appel à commentaires concernant le projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (Règlement 51-107). Par cette mesure, l’organisme réagissait à la pression croissante en vue d’obliger les entreprises à communiquer des informations sur les risques auxquels elles sont exposées, notamment les risques liés aux changements climatiques. Si le règlement est adopté, les ACVM obligeraient les émetteurs assujettis à communiquer des informations relatives aux changements climatiques, conformément aux quatre aspects des recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC).
La cohérence est essentielle afin d’éliminer la subjectivité des méthodes actuelles axées sur un exposé des faits pour communiquer les informations relatives aux facteurs ESG. Les normes de communication de l’information peuvent même se révéler libératrices pour les entreprises qui n’auront plus à chercher la meilleure façon de raconter leurs réalisations en matière de durabilité. Elles réduiront également le risque que les entreprises choisissent les sujets qu’elles souhaitent aborder, puis évitent les plus criants.
Les entreprises qui souhaitent attirer des investissements en soulignant le succès de leurs initiatives ESG devraient adhérer le plus tôt possible à ces normes. Même si elles deviendront inévitablement obligatoires, pour l’instant, il s’agit d’une belle occasion de se démarquer des concurrents qui préfèrent toujours une méthode axée sur le marketing et un exposé des faits.
Reliez les facteurs ESG à votre stratégie d’entreprise
Toutes les entreprises seront, à un moment ou à un autre, confrontées à la transition vers une économie plus ouverte, axée sur l’imputabilité et les faibles émissions de carbone. La façon d’y parvenir variera d’un secteur à l’autre et d’une entreprise à l’autre, mais il est évident que le contexte aura bien changé dans 5, 10 ou 15 ans. Plus tôt les entreprises préciseront les occasions et les risques liés aux facteurs ESG présents dans leurs chaînes opérationnelle et d’approvisionnement, et leur bassin de fournisseurs, plus grand sera leur avantage concurrentiel pour gagner la confiance des consommateurs et obtenir des capitaux, particulièrement dans la foulée de la pandémie de COVID-19 et de la COP26.
Cette transition exigera notamment un important changement de mentalité. Les évaluations par rapport aux facteurs ESG consistent toujours en très grande partie à cocher des cases et à répondre à des attentes. Les leaders et les décideurs doivent évaluer de façon critique les liens entre leurs initiatives et leurs risques, leurs occasions et leur performance. Ils doivent également chercher à collaborer avec d’autres entreprises qui partagent leur engagement envers les facteurs ESG – parce que les investisseurs le feront, même si les entreprises ne suivent pas.
Le milieu de l’investissement reconnaît déjà que les facteurs ESG peuvent constituer un puissant levier ou un frein majeur, selon la façon de les aborder. Les entreprises qui prennent actuellement des mesures pour évaluer le caractère significatif des facteurs ESG et les intégrer à leurs objectifs stratégiques tireront profit de cette vigilance, car elles s’exposeront à moins de risques à court et à long terme et amélioreront leur performance opérationnelle. En retour, cela leur procurera un accès moins coûteux à des capitaux et favorisera un meilleur rendement boursier. Celles qui choisissent de reporter leurs démarches ou qui ratissent beaucoup trop large auront de la difficulté à suivre la cadence au fur et à mesure que les changements s’accélèreront et que la perspective d’un avenir bien différent se dessinera.
Hâtez-vous
Vous devez établir dès maintenant une stratégie ESG, en commençant par la priorité actuelle d’identifier, de comprendre et de quantifier les occasions et les risques liés aux changements climatiques. Cette stratégie doit comprendre les éléments suivants :
- se doter des ressources pour appliquer une méthode structurée pour la gouvernance, la surveillance et les activités;
- inclure les facteurs ESG à la stratégie de l’entreprise;
- intégrer au programme de gestion des risques d’entreprise les occasions et les risques liés aux facteurs ESG;
- déterminer les indicateurs et les cibles afin de mesurer la performance à l‘égard des facteurs ESG, en vue de la communiquer aux intervenants.
Cela vous demandera du temps et des efforts, mais vous en récolterez les fruits plus tard.