Mesures essentielles à prendre aujourd’hui pour éviter les litiges successoraux
Avec le vieillissement de la population du Canada, les litiges juridiques et financiers sont de plus en plus courants au sein des exploitations agricoles familiales. L’augmentation de l’espérance de vie et l’amélioration des soins de santé pourraient faire en sorte que vous travailliez après 60, 70 et même peut-être 80 ans. Pour certains, ce n’est pas que la retraite qui est repoussée, ce sont aussi les conversations critiques à propos de la planification successorale et de la transition, qui finissent par avoir lieu très tard, si elles ont lieu.
Le résultat : De nombreux parents propriétaires de fermes familiales décèdent ou tombent malades sans représentation adéquate et sans communiquer leurs intentions et leurs stratégies avec tous les héritiers. Sans ces indications essentielles, les héritiers sont entraînés dans des litiges et demandent l’aide des cours.
Mettre de l’ordre dans la succession
Les considérations successorales des fermes familiales peuvent être importantes, la valeur des actifs atteignant souvent plusieurs millions de dollars en tenant compte du terrain, du matériel et des résidences, en plus de l’épargne et des investissements, s’il y a lieu. Un testament valide et à jour est le moyen le plus simple et le plus direct de répartir votre succession selon vos souhaits et de réduire le risque de litige.
Bien que la tendance ait changé dans les dernières années, de nombreux Canadiens, jeunes et âgés, continuent d’éviter de tenir compte de leur mortalité en ne planifiant pas leur succession. Malheureusement, sans plan fixe, vous renvoyez toute la responsabilité de la division de votre succession à la cour ou, si vous en avez désigné un, à votre exécuteur testamentaire. Vous devez au minimum prendre ce qui suit en considération :
- Qu’arrivera-t-il à la parcelle de terrain résidentielle?
- Comment prévoyez-vous réduire l’impôt sur la transition?
- Les baux seront-ils transférés?
- Comment transférerez-vous les actifs principaux, comme les quotas laitiers?
- Qu’arrivera-t-il au matériel détenu et utilisé par la ferme?
- À qui faites-vous confiance pour assurer la continuité des activités?
Les décisions rendues par les cours seront basées uniquement sur les faits et la jurisprudence, ce qui pourrait ne pas correspondre à vos intentions. Le deuil, le sentiment d’avoir droit à quelque chose ou la frustration envers d’autres membres de la famille peuvent brouiller les réflexions d’un ami de confiance ou d’un parent, entraînant des litiges et des retards dans l’exécution d’un testament.
Vous pouvez éviter ces ennuis prévisibles en mettant votre plan successoral à jour lorsqu’un changement important a une incidence sur vos bénéficiaires. Il est préférable de prendre le temps de communiquer les ajustements aux membres de la famille touchés pour leur en expliquer les raisons et les conséquences sur votre plan successoral.
Même si ces conversations peuvent être difficiles, elles sont préférables à l’animosité qui peut s’amplifier entre les membres de la famille après votre décès.
Transition fiscalement efficace
Lors de la planification d’une transition successorale efficace, il faut prendre en considération les implications fiscales. Il existe des règles fiscales préférentielles entourant le transfert de la ferme familiale à la génération suivante. Deux des aspects primordiaux de cette transition sont l’exonération cumulative des gains en capital et le roulement intergénérationnel.
L’exonération peut exempter le premier million de dollars de gains en capital sur certains biens agricoles ou de pêche admissibles (p. ex., les immeubles servant à l’exploitation agricole, les quotas, les participations dans une société de personnes agricole ou de pêche familiale et les actions du capital-actions d’une société agricole ou de pêche familiale). Elle peut être utilisée pour le transfert des biens de votre vivant ou après votre décès.
Le roulement intergénérationnel peut être encore plus utile aux fermes familiales. Il permet à certains biens agricoles d’être transférés à la génération suivante sur la base d’un report d’impôt, pour autant qu’ils répondent à des critères précis. Une planification adéquate est primordiale afin de veiller à ce que votre ferme soit bien en mesure de tirer profit de ces dispositions de roulement, maintenant et plus tard.
De nombreuses familles exploitent leur ferme selon une structure d’entreprise. Si vous avez une société et que vous souhaitez léguer la ferme à plus d’un enfant, il est préférable que, de votre vivant, vous restructuriez la société existante en une ou plusieurs sociétés agricoles. Cela facilitera une transition fiscalement efficace au cours de laquelle chaque enfant héritera d’une société comprenant les actifs désirés, et évite à vos héritiers de devoir faire des compromis après votre décès.
Selon la structure de votre exploitation agricole, la production d’une déclaration de revenus distincte appelée « déclaration de revenus provenant de droits ou de biens » permet de réduire le montant d’impôt à payer lors du décès des propriétaires. De plus, vous voudrez planifier votre succession adéquatement afin de vous assurer qu’il y a suffisamment de fonds pour couvrir les obligations d’impôt qui surviendront, sans avoir à vendre les principaux actifs de la ferme.
Donner procuration à la bonne personne
Si ce n’est pas déjà fait, vous avez probablement une bonne idée de la personne à qui vous souhaitez donner procuration perpétuelle. C’est généralement le conjoint ou la conjointe, un frère ou une sœur, un enfant, un ami proche, bref, une personne à qui vous faites entièrement confiance de prendre les mêmes décisions que vous, advenant que vous soyez incapable de le faire.
C’est logique : la confiance est fondamentale lorsque vous n’êtes pas en mesure de vous exprimer. Qui d’autre que la personne qui vous connaît le mieux et qui vous a démontré des années de loyauté indéfectible? Malheureusement, à elle seule, cette raison est rarement la bonne pour choisir un mandataire, car le rôle est bien souvent plus complexe qu’il ne le semble.
Au-delà des décisions médicales
Lors du choix d’un mandataire, vous devez considérer toutes les responsabilités que cette personne assumera lorsque vous ne serez plus en mesure de gérer vos affaires. Est-elle prête à gérer vos finances et votre entreprise?
Il n’est plus simplement question de faire ce que vous faites, car vous vous fieriez à des décennies d’expérience et d’intuition affinée pour prendre vos décisions, une expérience que votre mandataire n’a pas. Le mauvais mandataire peut être coûteux pour vous, pour lui et pour les autres parties prenantes de la famille, comme les bénéficiaires.
Comme pour votre planification successorale, vous devez maintenir la communication avec votre mandataire désigné pour qu’il comprenne ce que vous feriez dans diverses situations et pourquoi. Vous pourriez même commencer à l’inclure dans les conversations avec votre avocat, votre comptable ou votre conseiller en gestion agricole afin qu’il observe les rouages de votre monde professionnel.
En plus de faciliter la prise de décisions éclairées, cette démarche peut l’encourager à faire appel à du soutien professionnel en cas d’incertitude. Qui plus est, cela peut donner confiance aux autres membres de la famille que le mandataire est bien informé et à la hauteur de la tâche.
L’erreur est humaine
L’exécution d’une procuration perpétuelle est une lourde tâche à gérer; beaucoup de personnes doivent trouver un équilibre entre leurs propres responsabilités professionnelles et familiales, et la représentation de vos intérêts. Plus votre mandataire doit agir en votre nom longtemps, plus le risque d’épuisement, de négligence et de mauvais jugement est élevé.
Vous devez tenir pour acquis que vos héritiers et les parties prenantes de l’entreprise agricole jugeront sévèrement la façon dont votre mandataire gèrera vos affaires, y compris les décisions commerciales qu’il prendra. Ils examineront le moindre détail, le moindre dollar et la moindre décision. Même le plus petit écart peut mener à des accusations de fraude, de détournement ou de négligence, en plus de briser des relations pour toujours et de causer des litiges coûteux.
L’envers de la médaille est aussi réel : il existe d’innombrables exemples de mandataires qui négligent leurs devoirs, dépensent les fonds de la succession ou sèment le désordre dans la paperasse. Cela ne signifie pas qu’ils sont de mauvaises personnes, mais les situations difficiles et stressantes poussent souvent les gens à agir différemment, de façon imprévisible et déplorable. Il se peut aussi que les mandataires n’aient pas le sens des affaires requis pour remplir leur rôle.
Demandez-vous si la personne à qui vous pensez donner procuration est à la hauteur de la tâche. La confiance, du moins dans le sens d’un confident, ne suffit visiblement pas. Vous devez vous assurer qu’elle sera là et disponible pour représenter vos intérêts (et ceux de votre famille), qu’elle gardera les dossiers nettement à jour et qu’elle sera en mesure de prendre des décisions en faisant fi de ses émotions.
Ne laisser aucune place à l’interprétation
Bien souvent, les litiges qui surviennent entre les membres d’une famille sont le résultat prévisible d’une exploitation agricole mal gérée, où les problèmes sont plus graves que le simple manque de planification successorale :
- Les finances personnelles et de l’entreprise sont désorganisées, les dossiers étant incompréhensibles ou carrément inexistants.
- Les contrats sont flous ou manquent de documentation et de vérification professionnelle adéquates.
- Chaque membre de la famille a une société agricole distincte qui empiète sur les autres, faisant usage du même équipement et des mêmes biens.
- Il n’y a pas de plan successoral ou les contributions de chaque membre de la famille ne sont pas prises en compte, en dehors de conversations informelles et d’ententes verbales.
Les quelques familles qui sont en mesure de dissiper une telle confusion sans avoir recours aux litiges méritent des félicitations.
Tout mettre par écrit
On dit que l’un des signes les plus évidents d’un bon leader est qu’il sait quand demander de l’aide. Vous n’avez pas à garder des dossiers en parfait ordre ou à être un excellent gestionnaire pour diriger une entreprise agricole profitable et durable, mais vos dossiers et votre documentation doivent être à jour.
Dressez l’inventaire de vos compétences et de votre situation, puis pensez à déléguer certaines responsabilités à un membre de la famille qualifié et compétent en qui vous avez confiance ou à un conseiller en gestion agricole. Celui-ci peut transcrire tout le bon travail que vous faites sur le terrain en ne laissant aucune place à l’interprétation ni aux litiges.
Prenez également le temps de vous réunir avec les membres de la famille qui ont joué un rôle actif sur la ferme afin de traduire leur apport en actions, en compensation ou en entente de propriété des actifs. Cela peut signifier que certains membres auront droit à une plus grande part que d’autres, mais tout comme votre plan successoral, ces ententes peuvent en expliquer les raisons et réduire le nombre de différends éventuels.
Préciser d’avance les plans de succession
Que souhaitez-vous pour votre ferme familiale une fois que votre partenaire et vous aurez pris votre retraite ou après votre décès?
Qu’arrivera-t-il si certains des membres de votre famille souhaitent perpétuer votre héritage tandis que d’autres préfèrent vendre les biens et diviser les profits équitablement entre les héritiers?
Que faire si plus d’un membre de la famille veut reprendre la ferme? Et si personne ne désire le faire?
Le plan de succession de votre ferme est un parcours et non un événement ponctuel. Plus vous commencez rapidement à planifier ce processus, plus votre famille et vous serez préparés à le mettre en œuvre le moment venu. Cela vous donne aussi le temps de tenir les conversations difficiles pour que chacun puisse partager ses pensées et ses sentiments pour l’avenir.
Ce processus peut être émotionnel et parsemé de désaccords. Il peut même creuser des fossés entre vous et les membres de votre famille. Cependant, le travail acharné, la patience et le temps vous donneront la possibilité de combler ces écarts et d’en arriver à un accord durable.
En négligeant ces conversations jusqu’à votre décès ou jusqu’à ce que vous ne soyez plus en mesure de vous exprimer, vous vous privez de cette occasion, ce qui peut entraîner de sérieuses querelles difficiles à régler.