Cet article a d’abord été publié dans l’édition de la fin de l’automne 2021 du magazine Ontario Home Builder (OHB). Il a été repris et modifié avec permission.
Par Ted McIntyre, avec Melissa Aveiro, de MNP
Se faire imposer davantage en vendant l’entreprise familiale à ses enfants ou à ses petits-enfants qu’en effectuant une vente à un tiers semblait être une inégalité évidente. Cela a pourtant été exactement le cas pendant des années, jusqu’à ce que le projet de loi C-208 soit adopté à la fin de l’été passé.
Comme l’a remarqué MNP, un des principaux cabinets de comptabilité, de fiscalité et de services-conseils au Canada, « une disposition anti-évitement de longue date dans la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) traitait anciennement le transfert intergénérationnel d’une entreprise comme un dividende plutôt qu’un gain en capital lorsque l’exonération cumulative des gains en capital (ECGC) était accordée. Le projet de loi C-208 modifie cette disposition pour permettre l’accès à l’ECGC (une épargne fiscale équivalant à environ 225 000 $ à 250 000 $ par contribuable) et assurer des changements positifs lors de la division d’une entreprise familiale entre frères et sœurs. »
Voilà une bonne nouvelle pour l’industrie de la construction résidentielle, où la grande majorité des entreprises sont familiales et tiennent à le rester encore longtemps.
Melissa Aveiro, associée et leader régionale des services Fiscalité et Immobilier et construction chez MNP, a été présentatrice au webinaire Tax Changes to Succession Planning for Businesses (changements fiscaux pour la planification successorale des entreprises) de la Canadian Home Builders’ Association (CHBA) en septembre.
OHB : Pouvez-vous donner un exemple des conséquences financières du projet de loi C-208?
Melissa Aveiro : En vertu de l’ancienne loi, un parent qui vendait des actions de son entreprise à la société de portefeuille de son enfant subissait des conséquences fiscales négatives lorsqu’il se servait de son ECGC. Le montant du prix d’achat reçu en sus du prix de base des actions est un gain en capital. Lors d’une vente à un tiers, l’ECGC pouvait être utilisée pour mettre ce gain à l’abri, jusqu’à la limite annuelle des gains en capital, qui était de 892 218 $ en 2021. Cependant, dans le contexte d’une vente d’un parent à un enfant, ce gain en capital était plutôt considéré comme un dividende et ainsi imposé à un plus haut taux que dans le cas d’une vente à un tiers. Avec les modifications, les parents vendant des actions à des sociétés contrôlées par leurs enfants majeurs peuvent maintenant déclarer des gains en capital et utiliser leur ECGC de la même façon, moyennant le respect de certaines exigences.
Voici un exemple : des parents résidant en Ontario sont propriétaires d’une entreprise valant 1,785 M$, soit 892 500 $ par parent. Leur fille veut acheter les actions de l’entreprise par l’entremise de sa propre société de portefeuille afin de faciliter le financement de la transaction. Tenons pour acquis que les deux parents ont droit à l’ECGC entière (892 218 $ en 2021) et que le prix de base des actions à l’incorporation était de 100 $ pour chaque parent. Selon les anciennes règles, si les parents avaient demandé la totalité de leur ECGC pour la vente, ils auraient chacun dû déclarer un dividende réputé de 892 218 $ (l’utilisation du montant total de l’exonération des gains en capital) et un gain en capital de 182 $ (892 500 $ moins 100 $ moins 892 218 $), entraînant un impôt à payer d’environ 850 000 $, en présumant que le dividende est imposé au plus haut taux d’imposition marginal de 47,74 %.
Selon les nouvelles règles, chaque parent aurait un gain en capital de 892 400 $ (892 500 moins 100 $), mais serait en mesure d’en mettre la quasi-totalité à l’abri grâce à leur ECGC. Dans cet exemple, il n’y aurait pratiquement aucun impôt à payer, car le gain est presque entièrement à l’abri grâce à l’exonération, à l’exception de seulement 182 $ pour chaque parent (sans tenir compte de l’impôt minimum de remplacement).
La capacité de se servir de l’ECGC lors de la vente à un enfant facilite donc le processus de prise de décision et motive possiblement la famille à conserver l’entreprise.
OHB : Pour profiter de l’ECGC, les actions doivent être détenues depuis au moins 24 mois avant la vente. Qu’arrive-t-il si l’on vient tout juste d’acheter l’entreprise et qu’on veut en faire la transition?
Cela dépend de qui les actions ont été achetées. La LIR prévoit que le vendeur (ou une personne ou un partenariat lié) doit avoir été propriétaire des actions dans les 24 mois précédant immédiatement la vente. Ainsi, si une personne ou un partenariat lié a acheté ou acquis les actions, le vendeur est quand même admissible à l’ECGC. Autrement, la période de possession de 24 mois doit être respectée pour satisfaire aux exigences des nouvelles règles.
En vertu des nouvelles directives, est-ce que 90 % des actifs doivent être utilisés dans l’entreprise exploitée activement?
Au cours de la période de 24 mois précédant une vente, plus de 50 % de la juste valeur marchande des actifs de la société doivent avoir été attribuables à l’exploitation active. Pour ce faire, la société ou une société liée doit avoir utilisé les actifs principalement dans une entreprise exploitée activement surtout au Canada. « Principalement » et « surtout » signifient généralement plus de 50 %. Ainsi, un actif doit être utilisé par la société ou une société liée plus de 50 % du temps dans une entreprise exploitée activement, et cette exploitation doit avoir lieu plus de 50 % du temps au Canada. Ensuite, au moment de la vente, le seuil augmente à la totalité ou à la quasi-totalité (qui signifie généralement 90 % ou plus), c’est-à-dire qu’au moment de la vente, 90 % ou plus de la juste valeur marchande des actifs de la société doivent être attribuables à l’exploitation active.
Si une société a atteint le seuil de 50 % dans les 24 derniers mois, mais ne répond pas à l’exigence de 90 %, des transactions peuvent être effectuées pour la « purifier ». Cette mesure implique de retirer les actifs non attribuables à l’exploitation active avant la vente. Par exemple, l’excédent de trésorerie peut servir à acheter des actifs attribuables à l’exploitation active ou à prépayer des frais professionnels, les dividendes peuvent être payés aux intervenants individuels et les passifs peuvent être remboursés. Les possibilités et solutions sont nombreuses.
Y a-t-il d’autres précisions à venir concernant le projet de loi C-208?
Il est actuellement adopté. Toutefois, le ministère des Finances a annoncé son intention d’apporter des amendements qui respectent l’idée du projet de loi C-208, mais empêchent toute échappatoire fiscale involontairement créée par celui-ci. Ces amendements devaient être annoncés dès le 1er novembre. Nous sommes inquiets que les changements entraînent une législation restrictive qui sera difficile à appliquer dans le cadre de la transition d’une entreprise familiale. Par exemple, certaines règles fiscales s’appliquent uniquement au Québec. L’application restreinte de ces règles fait que beaucoup de clients ne sont pas en mesure de respecter les conditions.
Qu’arrive-t-il si le parent change d’idée après coup?
Bien que la législation ne le précise pas, le but des dispositions semble être de refuser le traitement des gains en capital et de l’exonération correspondante pour plutôt imposer un traitement de « dividende réputé ».
La nouvelle législation concerne les sociétés fermées sous contrôle canadien. Il doit donc y avoir des actions en jeu. Quelles erreurs constatez-vous avant tout type de planification successorale?
Quelques points me viennent à l’esprit :
- Tenir pour acquis que les enfants veulent éventuellement posséder et exploiter l’entreprise sans en discuter avec eux. Les parents présument que leurs enfants voudront ce qu’eux voulaient.
- Ne pas faire participer les enfants ou la direction dans le processus de planification successorale assez tôt, puis perdre ces personnes importantes.
- Ne pas inclure la direction dans le processus et tenir pour acquis qu’elle ne voudra pas acheter l’entreprise, car les actionnaires présument que les employés n’en ont pas les moyens. De nombreuses institutions financières sont prêtes à financer les rachats par la direction. À l’aide de la bonne modélisation, un tel rachat est une solution viable.
- Présumer qu’« équitable » et « égal » signifient la même chose, puis diviser la propriété de l’entreprise en parts égales entre les enfants. Cela peut être très problématique lorsque certains des enfants travaillent dans l’entreprise et d’autres, non.
- Enfin, ne pas avoir de solution de rechange pour les successeurs.