L’acquisition d’une entreprise en exploitation (qui comprend les étapes de vérification diligente, de négociations, de conclusion, etc.) s’étale souvent sur plusieurs mois. La comptabilité est souvent la dernière chose à laquelle pensera un acquéreur absorbé par la transaction et la fusion des deux sociétés.
Or, comptabiliser un regroupement d’entreprises est un exercice complexe auquel le personnel affecté à la comptabilité et aux finances ne se livre pas tous les jours. Ce manque de familiarité peut entraîner des difficultés au moment de préparer l’information financière en fin d’exercice.
La norme internationale d’information financière (IFRS) 3 Regroupements d’entreprises et le chapitre 1582 des normes comptables pour les entreprises à capital fermé (NCECF) « Regroupement d’entreprises » exigent que la contrepartie transférée, les actifs acquis et les passifs repris à l’occasion d’un regroupement d’entreprises soient comptabilisés à leur juste valeur à la date d’acquisition1.
Une fois l’acquéreur identifié et la date déterminée, le regroupement d’entreprises est comptabilisé au moyen d’une répartition du prix d’achat. Pour la préparer, il faut suivre les cinq étapes ci-dessous.
Étape 1 : Déterminer la juste valeur de la contrepartie
Peu importe sa forme (trésorerie, actions, billets, contrepartie éventuelle, bénéfices futurs, etc.) ou le moment de son versement, la contrepartie versée dans le cadre d’un regroupement d’entreprises doit être comptabilisée à sa juste valeur à la date d’acquisition. Cette démarche peut prendre l’une des formes suivantes :
- Contrepartie en trésorerie — on considère habituellement qu’une contrepartie en trésorerie payable à la date de conclusion de l’acquisition est représentative de la juste valeur à la date d’acquisition.
- Contrepartie en actions — les conventions d’achat et de vente vont souvent établir le prix de l’action pour une contrepartie de ce type. Toutefois, pour les besoins d’une répartition du prix d’achat, celui-ci n’est peut-être pas représentatif de la juste valeur des actions émises. Pour les sociétés inscrites dans un marché actif, les sociétés ouvertes par exemple, le cours de l’action à la date d’acquisition est habituellement la meilleure indication de la juste valeur. Pour les sociétés qui ne le sont pas, on peut parfois se rabattre sur des opérations conclues avec des tiers ou des émissions d’actions récentes. Si les titres de la société ne sont pas négociés activement et qu’aucun renseignement sur des opérations récentes n’est disponible, une analyse de la valeur pourrait s’avérer nécessaire pour établir la juste valeur des actions émises dans le cadre d’un regroupement.
- Paiements différés et billets — il y a paiement différé lorsque le vendeur reçoit sa contrepartie, en partie ou en totalité, à une date ultérieure à la date d’acquisition. La juste valeur d’une contrepartie en trésorerie différée doit être actualisée en fonction de la durée du report et prendre en compte le risque d’un défaut de paiement. Une contrepartie en actions peut aussi être différée. Les titres peuvent par exemple être entiercés, et libérés à une date ultérieure établie. La juste valeur d’une telle contrepartie peut être actualisée en fonction de la durée du report et peut prendre en compte la volatilité des titres visés.
- Contrepartie éventuelle — monnaie courante dans le cadre des regroupements d’entreprises, ce type de contrepartie permet à un vendeur et un acquéreur de conclure un marché sans s’être entendus au sujet du prix d’acquisition. Elle peut prendre diverses formes. On verra communément un acquéreur convenir du versement d’une contrepartie additionnelle à l’atteinte de certains jalons financiers ou d’exploitation avant la fin d’une période définie. Toutefois, elle peut également donner à l’acquéreur le droit de récupérer une contrepartie préalablement transférée si certaines conditions spécifiées sont remplies, ou ne sont pas remplies. Ce type de contrepartie est comptabilisé à sa juste valeur à la date d’acquisition, laquelle est établie au moyen d’un modèle approprié pour mesurer la structure des bénéfices futurs.
Étape 2 : Comptabiliser à la juste valeur tous les actifs et passifs existants à la date d’acquisition
Conformément aux exigences de IFRS 3 et du chapitre 1582, les actifs acquis et les passifs repris aux termes d’un regroupement d’entreprises doivent être comptabilisés à leur juste valeur à la date de l’acquisition. Cette démarche peut prendre l’une des formes suivantes :
- Fonds de roulement — le fonds de roulement comptabilisé dans la répartition du prix d’achat doit refléter celui transféré à la date de l’acquisition et tenir compte de toute modification qu’on lui apporte s’il est consigné dans la convention d’achat et de vente.
- Immobilisations corporelles — selon la juste valeur estimée et la complexité des immobilisations corporelles acquises, il pourrait être nécessaire de faire appel à un évaluateur spécialisé en matériel et outillage ou en immeubles pour en déterminer la juste valeur.
- Immobilisations incorporelles et goodwill (écart d’acquisition) — la valeur réévaluée préliminaire des immobilisations incorporelles et du goodwill figurant au bilan de clôture de la société acquise est de néant. L’identification et l’établissement de la juste valeur des immobilisations incorporelles à la date d’acquisition seront traités aux étapes 3 et 4.
Étape 3 : Identifier les immobilisations incorporelles acquises
La prochaine étape de la répartition du prix d’achat consiste à comptabiliser séparément les immobilisations incorporelles identifiables et le goodwill acquis dans le cadre d’un regroupement d’entreprises. IFRS 3 et le chapitre 1582 précisent qu’une immobilisation incorporelle est considérée comme identifiable a) si elle est susceptible d’être séparée ou dissociée de l’entité et d’être vendue, cédée, concédée par licence, louée ou échangée, soit individuellement, soit conjointement avec un contrat, un actif identifiable ou un passif y afférents, peu importe si l’entité entend ou non en arriver là ou b) si elle résulte de droits contractuels ou d’autres droits établis, que ces droits soient ou non cessibles ou séparables de l’entité.
Les immobilisations incorporelles suivantes sont couramment acquises dans le cadre d’un regroupement d’entreprises.
- Carnets de commandes — identifiés au moyen d’un examen des bons de commande en cours et des projets en voie de réalisation à la date d’acquisition, ils constituent une immobilisation incorporelle en raison de leur nature contractuelle.
- Relations commerciales — une relation avec un client n’a pas besoin d’être formalisée par un contrat pour avoir une valeur. Les revenus récurrents qu’on en tire sont souvent une forte indication de cette valeur.
- Accords de non-concurrence — de tels accords font habituellement l’objet d’une clause distincte dans la convention d’achat et de vente à l’intention des actionnaires qui quittent la société acquise ou qui vont continuer d’occuper un emploi chez l’acquéreur.
- Contrats supérieurs ou inférieurs au prix de marché — les contrats à long terme conclus à un prix supérieur ou inférieur à celui qui a cours sur le marché, par exemple les contrats à long terme de location d’installations, peuvent répondre aux critères d’une immobilisation incorporelle identifiable.
- Brevets et technologies exclusives — chaque brevet et chaque technologie doivent être considérés séparément. L’existence d’un brevet ne confère pas nécessairement une valeur. À l’inverse, une technologie dont on fait l’acquisition n’a pas besoin d’être brevetée pour posséder une valeur.
- Marques de commerce et noms commerciaux — les marques de commerce et les noms commerciaux utilisés par la société acquise et répertoriés dans la convention d’achat et de vente doivent être examinés afin de déterminer leur valeur marchande. Même si l’acquéreur n’a pas l’intention de les utiliser, ces marques et ces noms peuvent posséder une valeur.
Étape 4 : Déterminer la juste valeur des immobilisations incorporelles identifiables acquises
La préparation d’une répartition du prix d’achat commence habituellement par l’examen du modèle d’acquisition adopté par l’acquéreur. On établira ensuite le taux de rendement interne, c’est-à-dire le taux pour lequel la valeur actualisée des flux de trésorerie après impôt est égale au prix d’acquisition. Le chiffre obtenu représente le taux de rendement moyen pondéré de tous les actifs et de tous les passifs de la société acquise. Ce taux est ensuite comparé à la moyenne pondérée du coût du capital (calculée indépendamment) afin de déterminer si la contrepartie représente la juste valeur des immobilisations corporelles.
Une fois que ces dernières sont identifiées et que le taux de rendement interne est calculé, on doit établir la valeur de ces immobilisations. Pour ce faire, il y a trois approches généralement reconnues :
- Approche par le marché
- Approche par les coûts
- Approche par le résultat
Approche par le marché
Cette approche établit la juste valeur selon le prix d’achat d’un actif comparable acquis dans des circonstances similaires. On la détermine au moyen de données sur les prix payés pour des actifs raisonnablement comparables.
L’intérêt de cette approche est sa simplicité d’application dans les cas où un actif comparable existe. Toutefois, elle est difficilement applicable à l’évaluation d’immobilisations incorporelles, étant donné que ces dernières sont rarement vendues seules, ce qui fait en sorte qu’il y a peu de renseignements transactionnels publics les concernant.
Approche par les coûts
Cette approche suppose qu’un investisseur prudent ne paierait pas plus pour un actif que le montant nécessaire pour son remplacement ou sa reproduction. Ce coût doit refléter la détérioration matérielle, l’obsolescence fonctionnelle et l’obsolescence économique de l’actif, le cas échéant.
Cette approche sert souvent à établir la valeur d’actifs qui ne sont pas destinés à produire des flux de trésorerie à l’avenir, comme les logiciels utilisés à l’interne. Elle est rarement appliquée dans d’autres cas, car elle ne tient pas compte des avantages futurs attendus d’une immobilisation incorporelle.
Approche par le résultat
L’approche par le résultat est la plus couramment utilisée pour déterminer la valeur d’une immobilisation incorporelle. Elle considère que la valeur d’un actif correspond à la valeur actualisée des avantages économiques qu’on en obtient durant sa vie utile (bénéfices, réductions de coûts, produit tiré de sa disposition, etc.). On l’obtient en estimant d’abord et en actualisant ensuite les flux de trésorerie attendus de l’actif durant sa vie utile.
Étape 5 : Attribuer la contrepartie restante au goodwill et évaluer le caractère raisonnable de la conclusion globale
Toute contrepartie qui n’est pas attribuée aux actifs (y compris les immobilisations incorporelles identifiables) et aux passifs sera attribuée au goodwill. On peut évaluer le caractère raisonnable de la conclusion globale et de la portion affectée au goodwill en procédant à l’analyse du rendement moyen pondéré des actifs. Cette analyse fait le rapprochement du rendement estimé de l’ensemble des actifs (à l’exception du goodwill) et des passifs et le taux de rendement interne. L’écart entre les deux correspond au taux de rendement implicite du goodwill. Le caractère raisonnable de ce dernier est ensuite évalué à la lumière du taux de rendement des autres actifs acquis et des autres passifs repris.
La préparation d’une répartition du prix d’achat est un exercice complexe qui exige une grande connaissance de la société dont on fait l’acquisition de même qu’une maîtrise théorique et pratique des méthodes d’évaluation de la juste valeur. Elle nécessite une communication soutenue entre le personnel responsable de la comptabilité et celui affecté à l’exploitation. L’évaluation des immobilisations incorporelles se base sur des estimations. C’est pourquoi les auditeurs et les organismes de réglementation doivent y porter une attention particulière lors de l’examen d’états financiers. MNP compte des évaluateurs d’entreprises chevronnés qui sont passés maîtres dans la préparation des répartitions du prix d’achat et dans l’évaluation des immobilisations incorporelles et qui peuvent vous soutenir dans les divers aspects d’un regroupement d’entreprises.
1IFRS 13 Évaluation de la juste valeur définit la juste valeur comme le prix qui serait reçu pour la vente d’un actif ou payé pour le transfert d’un passif lors d’une transaction normale entre des intervenants du marché à la date d’évaluation. Le chapitre 1582 des NCECF, « Regroupement d’entreprises », la définit comme le montant de la contrepartie dont conviendraient des parties compétentes agissant en toute liberté dans des conditions de pleine concurrence.